Datum: 23.04.2024

Une algue se dote d’un fertilisateur intracellulaire

Une équipe de chercheurs de l’université de Californie, à Santa Cruz, affirme avoir découvert un quatrième organite issu d’une endosymbiose entre un eucaryote et une bactérie : l’azotoplaste.

Source: www.lemonde.fr

Author: Matéo Vaucouleur, published on April 17 

Une algue se dote d’un fertilisateur intracellulaire

Fait rare dans l’histoire de l’évolution : des chercheurs ont identifié un nouvel organite issu d'une symbiose entre une bactérie et une algue.

Comme dans une usine, les cellules eucaryotes (les cellules des animaux, végétaux et champignons) opèrent une véritable division du travail, les différentes tâches étant effectuées dans divers compartiments, appelés organites. Ces tâches vont du stockage de l’ADN dans le noyau, à la digestion de molécules dans les très acides lysosomes. L’origine de ces organites et de leurs fonctions fascinent les biologistes depuis plus d’un siècle.

Selon Marc-André Selosse, professeur au Muséum National d’Histoire Naturelle, « Il y a deux façons d’évoluer. Soit par des mutations, qui font apparaître des propriétés nouvelles, soit par association, en s’associant à un organisme, ce qui permet d’hériter de ses propriétés ». Si l’évolution par mutation est la plus courante, les rares cas d’évolution par association ont eu un impact considérable. En effet, l’acquisition de la mitochondrie, organite en charge de la respiration cellulaire des eucaryotes, a donné naissance aux formes de vie les plus complexes. Elle est très probablement la descendante d’une bactérie entrée en endosymbiose (symbiose à l’intérieur d’une cellule) avec l’ancêtre des cellules eucaryotes il y a près de 2 milliards d’années. Et à force de cohabiter avec son hôte, la bactérie a évolué de simple symbiote à compartiment à part entière de la cellule: elle est devenu un organite.

On estime que l’acquisition d’un organite par endosymbiose ne s’est produite que trois fois dans l’histoire de l’évolution : une fois pour les mitochondries, et deux fois pour les plastes (une famille d’organites comprenant le chloroplaste, lieu de la photosynthèse des végétaux). Ou plutôt, on estimait… Dans une étude publiée vendredi 12 avril dans Science, une équipe de chercheurs de l’université de Santa Cruz (Californie) affirme avoir découvert un quatrième organite issu d’une endosymbiose entre un eucaryote et une bactérie : l’Azotoplaste.

Les chercheurs ont découvert cet organite, connu sous le nom UCYN-A, à l’intérieur de l’algue marine unicellulaire Braarudosphaera bigelowii. Il porte bien son nom: véritable fertilisateur intracellulaire, il

permet à l’algue d’acquérir une fonction qui est normalement l’apanage des bactéries : fixer l’azote de l’air (N2) et le transformer en sels azotés assimilables par le métabolisme. Pour Ansgar Gruber, directeur du laboratoire d’évolution des protistes (eucaryotes microscopiques), posséder un Azotoplaste est un avantage de taille. « Tous les êtres vivants doivent contenir une certaine proportion de composés azotés. Mais ceux-ci ne peuvent être synthétisés qu’à partir de sels d’azote, très rares dans l’océan. UCYN-A est issu d'un petit groupe de cyanobactéries capables de fixer le N2, et il est assez fascinant de voir que cette capacité est alors acquise par l’algue».

On savait que d’autres algues unicellulaires (les diatomées) s’associaient également avec des cyanobactéries pour bénéficier de l'azote qu'elles produisent. Mais ce qui est remarquable ici, c'est le stade très avancé de coévolution entre les deux partenaires: « Ce sont deux organismes qui se réunissent pour n’en former qu’un seul, et plus complexe, explique Tyler Coale, auteur principal de l’étude. C’est un nouvel exemple d’un processus biologique que l’on sait très rare. »

L'association entre la cyanobactérie et l'algue est connue depuis 2012. Mais rien ne permettait d’affirmer qu’il s’agissait plus que de deux simples symbiotes. Dans un premier temps, des analyses génétiques avaient révélé que UCYN-A avait perdu plus de deux tiers de son génome, incluant des gènes essentiels à son métabolisme. Cela laissait supposer que la cyanobactérie ne pouvait plus vivre de manière autonome. La dernière étape pour démontrer qu’UCYN-A était devenu un véritable organite de l’algue a été franchie par Tyler Coale grâce à l'analyse de la production de protéines dans l'Azotoplaste et dans l'algue : « On a découvert que l’algue produit des protéines qui sont ensuite importées par la bactérie, qui n’est plus capable de les produire elle-même. C’est un nouveau pallier d’interdépendance qui est franchi ».

L’équipe de chercheurs a également découvert comment l’Azotoplaste avait été transmis aux fil des générations. « Il entre en division en même temps que tous les autres organites de la cellule, et quand la cellule se sépare en deux, chaque cellule fille hérite d’une copie de l’Azotoplaste. C’est la preuve qu’il reçoit des signaux de la cellule lui indiquant quand se diviser et comment se répartir entre les deux cellules filles », abonde Tyler Coale.

Cette étude n’aurait pas été possible sans la réussite de la culture de l’algue en laboratoire. « C’est notre collègue Kyoko Hagino, de l'Université de Kochi au Japon, qui a développé la culture. Durant plus d’une décennie, elle est allée à l’océan des centaines de fois pour ramener des seaux d’eau de mer pour trouver les bonnes conditions de croissance des cellules sélectionnées. »

L’aventure n’est pas terminée. «On a encore plein de choses à creuser, affirme le chercheur. On estime que l’Azotoplaste UCYN-A trouve son origine il y a 100 millions d’années. C’est beaucoup plus récent que la mitochondrie ou le chloroplaste ! C’est un très bon objet étude pour comprendre comment ce type d’organites ont évolué ».

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